GIOIA
COSTA INCONTRI VALERE NOVARINA
L'espace
parlé entretien avec Gioia Costa GC Nella scrittura
come nella pittura lei occupa la scena con figure figure orali o figure
cromatiche che sembrano negare ogni possibile rappresentazione. Perchè
ha iniziato a dipingere le scene dei suoi spectacoli ? VN Jécris
en aveugle, sans jamais voir la scène, sans l'imaginer ; écrivant,
je suis comme dans le noir, comme quelqu'un qui entendrait des voix au-dessus.
J'écris comme quelqu'un qui serait non pas face au spectacle mais sous
le théâtre, sous les planches. Le paradoxe, c' est que, chaque fois
que j'ai mis en scène mes textes, j'ai eu le violent désir de peindre
la scène . Peindre non pas pour représenter quoi que ce soit, mais
plutôt pour toucher l'espace. J'ai peint six grandes toiles carrées
de six mètres sur six et un plafond pour Le Drame de la vie, qui a été
créé le 13 juillet 1986 au Festival d'Avignon ; j'ai peint un chaos
en surimpression sur d'anciens châssis d'opéra pour Vous qui habitez
le temps,au Festival d'Avignon et au Festival d'Automne à Paris en 1989
; j'ai peint une grande soie qui apparaissait soudainement et s'écroulait
à la fin de Je suis, en 1991 au Théâtre de la Bastille à
Paris ; j'ai peint pour La Chair de l'homme, en juillet 1995 au Festival d'Avignon,
une grande toile mouvante qui obstrue l'espace, qui le découpe et qui s'en
va, j'ai peint un plancher pour Le Jardin de reconnaissance, en mars 1997 au théâtre
de l'Athénée à Paris. GC La proliferazione di voci
della sua pagina fa da specchio alla proliferazione di segni sulle tele. Qual
è l'origine di questa folla senza nome ? VN Jécris
doreille. J'émets sans cesse des figures humaines : écrites
ou peintes, elles naissent par poussées, organiquement, par germinations
successives. J'ai toujours eu l'impression que nous avons été mis
sur terre, non pour être des hommes mais pour émettre sans cesse
des figures d'hommes, des signaux, des anthropoglyphes. La peinture que je fait
est jetée et chronique. Proche du geste de l'acteur. ( Delacroix disait
: Quand je suis dans mon atelier, j'entre en scène ) Le temps
est inscrit, écrit dans la peinture. La surface de la toile est inquiète,
en mouvement. Je peins vite, comme à la fresque , une superposition
de traits : quelque chose du temps, de la dépense du corps, de la respiration
vient s'inscrire sur la toile. Je reste proche du dessin, que j'ai longuement
pratiqué, au cours de séances forcées, d' Actes de dessination..
Le dessin, serait comme le vif de la peinture : le plus fugace, le plus mouvementé,
le plus fugitif, le plus furtif, le plus mortel de la peinture. Tout est peint
vite, exécuté sans maquette, sans projet . Avec une grande attention
portée aux positions du corps dans l'espace, au corps immergé dans
l'espace et qui doit cependant comme venir lui parler par geste
C'est
une peinture debout, dressée, pariétale. Une peinture mouvante,
apparaissant-disparaissant, par accès, par crises, par danses, une peinture
soufflée et comme faite par un acteur. GC Lei a detto che
non si capovolge la lingua senza cadere
C'è più
corpo o spazio nelle parole ? VN J'ai avec les mots un rapport spatial,
peint. Je veux toujours descendre, m'enfoncer plus encore qu'auparavant dans le
souterrain écrit : les mots se renversent comme de la matière, font
des taches, comme les couleurs. J'inverse parfois une phrase comme le peintre
tourne son tableau à l'envers et continue dans l'autre sens. L'espace commence
par le langage. La scénographie, c'est d'abord dans les mots. Saint Augustin
écrit magnifiquement dans le De Trinitate : Le langage s'entend
mais la pensée se voit. , cest une phrase magnifique et mystérieuse
qui me travaille quotidiennement depuis deux ou trois ans . La pensée sapprend
beaucoup avec les yeux. Écriture et peinture, ici, en Occident, on les
sépare trop. Depuis que je peins, je pense autrement. Et j'entends, au
théâtre, les acteurs tout autrement. Et depuis que je travaille avec
les acteurs, je vois les uvres des peintres autrement : devant un Piero
della Francesca, un Dubuffet, un Soutine, un Kandinsky, je suis comme devant quelquun
. Devant la toile comme devant la trace de la présence d'un danseur. Piero
della Francesca c'est non seulement un souleveur de perspective mais un très
extraordinaire théologien et un ouvreur d'écriture. Les peintres
nous aident à voir, mais aussi à penser et à respirer.
L'écriture est peinte ; la peinture est écrite. Je multiplie le
texte, je le travaille, en couleurs, dans l'espace : il est mis au mur et affiché.
Je colle, j'assemble en banderolles, des pages que j'épingle au mur, des
grandes guirlandes de papier et je me promène dedans. J'écris
en arpentant le livre mis au mur. La Chair de l'homme est mon premier livre pensé
au mur, mon premier livre peint. La parole est jetée, dépensée,
matérielle, spectaculaire. La syntaxe est une scénographie ; les
mots sont des couleurs, des pans de l'espace qui basculent. Parfois, j'ai eu l'impression,
en tournant dans mon livre, d'avoir vraiment changé de lieu, d'être
sorti de scène et d'avoir inventé ou retrouvé
quelque chose comme la littérature pariétale . On change un mot
et un mot changé est comme une minuscule tache de rouge qui vient
faire résonner autrement tout l'ensemble chromatique, faire raisonner tous
les sens autrement. GC Le sue tele appaiono e scompaiono, oscillano
sul fondo o rovinano a terra : un continuo movimento di segni. Qual è il
rapporto della scena con lo spazio ? VN Les toiles peintes apportent
surtout de l'énergie à l'acteur. Tout n'est pas fait pour être
vu. J'ai parfois envie de peindre uniquement les coulisses. Ou uniquement les
loges des acteurs
Les toiles peintes enlèvent aux spectateurs tous
leurs repères dans l'espace. Je désire le vertige : un tournoiement
sans fin un temps qui attend un autre temps. Le spectateur comme l'acteur
sont ici un instant suspendus. Le théâtre, cest comme la recherche
dun partage dangereux entre tous ceux qui sont là, le partage d'un
surgissement. Je cherche depuis toujours ce théâtre, cette écriture,
cette peinture à la source : un renouvellement infini des mots, des surprises,
des volutes, des fuites d'images, des fugues. On attend ici on entend
un lieu où saisir apparition-et-disparition dans un même temps, d'un
même temps
Les choses apparaissent dans la négation. Comme
dans une vue négative. La pensée nie en même temps quelle
affirme ; l'espace est là, se donne et se retire. Je cherche le langage,
l'espace, le théâtre à létat natif. Je recherche
un état dinstabilité. A l'origine du temps : l'inquiétude.
A l'origine de la marche, le déséquilibre. J'ai donné comme
titre à ma dernière exposition : L'inquiétude rythmique .
L'âme de tout, l'animal de tout, c'est le mouvement. Ce qui importe
dans l'espace, cest sa traversée, c'est de ne pas sarrêter
aux images, c'est de le respirer. Il faut que la peinture passe, se détruise,
se respire elle ne doit pas être saisie par les yeux. Tout est lié
dun souffle. Au théâtre, on respire de l'espace traversé
. La respiration est, pour nous, un passage. Passage est un mot magnifique et
qui est tout au fond de notre langue, de notre conscience, puisque passage nous
renvoie à Pessah qui est le nom hébreu de Pâques... Tout au
fond de nous, tout au fond du langage, la soif de mourir, de se dépouiller
et renaître au plus profond de nous : le désir de traversée.
Traversée de la mer Rouge, traversée du tombeau. Nous avons été
mis sur terre pour renaître : notre respiration mime ça à
chaque instant . Elle nous parle à chaque instant de ce mouvement de traverser
la mort. Il y a un passage à l'intérieur de nous et à
l'intérieur de tout ce qui est devant nous. Nous sommes des animaux de
traversée non des spectateurs paissant seulement dans le monde visible.
L'espace est au travers de nous . La scénographie serait peut être
l'art de nous faire toucher du doigt que l'espace est un lieu insaisissable. Nous
nous approprions le monde en le perdant : par la pensée, par les yeux,
nous le saisissons dans son échappée. La scène est au loin.
GC Le respirazione dell'attore è come il battito cardiaco della
pagina
Cerca, nelle sue tele, il soffio vitale dello spazio ? VN
Jessaye de lutter, de me battre, contre l' image mécanique de lhomme
qui toujours en nous se reconstitue, contre le mécanisme en général,
contre les idoles qu' l'on se forge. Et on se forge aujourd'hui beaucoup d'idoles
invisibles. Se battre contre ce monde binaire, de surface, sans profondeur, réduit
en images plates. Contre lidée d une vie sans passage, sans
traversée contre une pensée sans fugue et sans perspective
Il y a une phrase de Dürer que j'aime beaucoup, il dit : La
perspective, du latin perspectiva, qui veut dire vue traversante . J'ai
de plus en plus la sensation que notre vue traverse, que loeil passe au
travers, que la vision respire. Et que nous devons, sous peine dasphyxie,
reconquérir, retrouver cette respiration de l'espace aujourdhui.
Respirer l'espace aujourd'hui à nouveau, plus que jamais . Au moment, justement
où l'on tente de mettre l'homme en boucle et de le fermer
sur soi-même dans le filet de la communication mondiale. La bonne nouvelle
du théâtre c'est que l'homme n'a pas encore été capturé.
Etinforma
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